Le "making of" du tournage
Massoud Hamid, reporter kurde syrien, s’est rendu pour notre rédaction à Kobané fin juin 2015, quelques jours avant l’incursion de Daesh le 25 juin. Razzia meurtrière dans laquelle ont péri 300 civils, ainsi que des combattants kurdes des YPG.
Massoud Hamid a purgé une peine de trois ans de prison en Syrie, de juillet 2003 à juillet 2006, pour avoir publié sur Internet les photos d’une manifestation pro-kurde à Damas. Lauréat du prix "Cyberliberté" de Reporters sans frontières en 2005, il vit en France depuis janvier 2007. Depuis le début de la guerre en 2011, il a réalisé plusieurs reportages en Syrie. En décembre 2014 et janvier 2015, alors que la ville était occupée par Daesh, il a filmé Kobané à plusieurs reprises. En juin dernier, il se rendait, pour la première fois depuis sa libération le 26 janvier 2015, dans la cité kurde. Il a suivi une famille, exilée en Turquie pendant six mois, qui est retournée à Kobané en avril 2015. Voici une interview de Massoud Hamid, autour de son tournage.
Comment êtes-vous entré dans Kobané ?
Comme tous les autres journalistes, je suis passé par la ville turque de Suruç, à quelques kilomètres de la frontière et de Kobané. Dans cette ville, des centaines d’habitants de Kobané ont trouvé refuge. Un réseau de sympathisants du PYD (parti kurde qui contrôle les territoires kurdes syriens) s’occupent d’accompagner les journalistes à Kobané. Une fois la frontière passée, il faut se méfier, c’est très dangereux, il y a encore beaucoup de mines installées par Daesh.
Votre première impression une fois arrivé à Kobané ?
Changement radical. En décembre, en janvier, quand elle était sous le contrôle de Daesh, Kobané était une ville fantôme, vidée de ses habitants. Une ville qui avait perdu son âme. En juin, j’ai trouvé une cité en pleine reconstruction, avec une administration et une police bien organisées. Le tout géré par les forces syriennes kurdes du PYD. Les habitants sont rentrés d’exil : je dirais que 20 000 personnes vivent aujourd’hui dans Kobané et les villages alentours.
Comment avez-vous trouvé les habitants de Kobané ?
Après la libération de la ville en janvier, et le sérieux recul de Daesh, les habitants sont revenus d’exil remplis d’espoir : ils n’imaginaient pas un seul instant que les djihadistes de Daesh pourraient attaquer à nouveau, comme ils l’ont fait le 25 juin. Les gens que j’ai rencontré et la famille que j’ai filmé étaient confiants, mais je dois dire que, depuis, la situation a changé. Je suis encore en contact avec eux par sms et par mail : tout le monde vit à nouveau la peur au ventre, mais cela n’empêche pas la reconstruction de se poursuivre. Les habitants de Kobané et les Kurdes en général sont inquiets, tout en restant vigilants sur la position de la Turquie. A Kobané, beaucoup pensent que la Turquie joue un double jeu, que les djihadistes de Daesh ont pu entrer à nouveau dans la ville parce que la Turquie les a laissé passer par ses postes-frontières. La Turquie voit d’un mauvais œil la montée en puissance d’un Etat kurde en Irak et en Syrie. Cette nouvelle attaque a renforcé le sentiment d’hostilité et de méfiance ressentis à Kobané, envers Daesh bien-sûr, mais aussi envers les Turcs.
Quelles sont les conditions de vie des habitants de Kobané aujourd’hui ?
Il faut imaginer une ville en grande partie en ruine et en plein chantier (des engins de construction, des camions remplis de matériel en provenance de Turquie, et financés par la diaspora kurde, affluent chaque jour), avec partout le son omniprésent des générateurs, seuls moyens d’avoir de l’électricité. Le château d’eau n’a pas été détruit mais il est aussi alimenté par des générateurs, et il n’y a que quelques heures d’eau par jour. La reconquête de la ville de Tal Abyad (à l'est de Kobané) par les forces kurdes, le 16 juin dernier, a changé la donne. Le diesel se vendait jusque là à plus de 2 euros le litre : aujourd’hui, il est retombé à 8 centimes d’euros le litre, ce qui est bien sûr beaucoup plus économique pour se déplacer ou alimenter les générateurs. Pour ce qui est du nerf de la guerre, le moral des habitants, même s’ils vivent dans la peur permanente d’une nouvelle attaque, ils n'en restent pas moins combattifs et prêts à reconstruire leur ville.
Et quelles sont les conditions de travail des journalistes ?
Un appartement sert de maison d’accueil pour les journalistes : il est géré par l’Union des medias libres (organisation mise en place par le PYD). Un générateur fournit de l’électricité de 8h à minuit. Les combattants kurdes des YPG (bras armé du PYD) s’occupent de la sécurité des journalistes et se chargent de les amener sur le front. Comme nous pensions que Kobané était hors de danger, avant l’attaque du 25 juin, il n’y avait pas de forces de sécurité devant la maison des journalistes. En revanche, nous avons été briefé sur la présence de mines installés par Daesh dans certains quartiers ou aux alentours de Kobané.