Les raisonnements les plus solides et les mieux construits se révèlent souvent fragiles à l’épreuve des réalités elles-mêmes si complexes et paradoxales."
"Mémoires" - Premier volume, p. 69
Enfant difficile, Jacques Chirac passe une partie décisive de ses années de formation sous l’Occupation loin de Paris. Son évocation de l’enfance et de l’adolescence insiste sur ses origines dans les milieux républicains de la France rurale. Admis à Sciences-Po, puis à l’École nationale d’administration (ENA), le jeune Chirac garde un esprit de révolte. Il se porte volontaire pour partir en Algérie. À la fin de son service, il n’a qu’un souhait : prendre le métier des armes.
JALONS
- 29 novembre 1932
Naissance à Paris
- 16 mars 1956
Mariage avec Bernadette Chodron de Courcel, rencontrée sur les bancs de Sciences Po, qui a mené, à sa demande avant d’y prendre goût, une longue carrière politique locale en Corrèze
- 1974-1976 et 1986-1988
Premier ministre de France
- 1977-1995
Maire de Paris
- 1995-2007
Président de la République (deux mandats)
Un modernisateur de la politique française
Marié avant de partir en Algérie, désormais père d’une première fille, Laurence, suivie de Claude, le jeune Chirac nous présente son choix de l’administration et de la politique comme une façon de faire plaisir à ses parents et d’assumer ses nouvelles responsabilités familiales. Après un premier poste, il entre au cabinet de Georges Pompidou en 1962. Sous la figure tutélaire de ce dernier Chirac va construire une carrière de 50 ans au service de l’État qui le font monter une à une, de façon non-linéaire, les marches du pouvoir.
Chirac est-il mû par une idéologie ? Question difficile, tant l’image du caméléon lui colle à la peau, de l’appel de Stockholm contre les armes nucléaires en 1950, aux tirs d’essai nucléaires dans le Pacifique en 1995. Son seul souci d’ordre théorique est la fidélité au gaullisme en tant que partisan d’un État fort et d’une politique étrangère autonome. Ce viatique lui a sans doute permis de fonder avant tout son action sur des rapports personnels d’amitié ou d’hostilité.
La première cohabitation Mitterrand-Chirac
Quand la gauche perd les élections législatives de 1984, la France craint la paralysie institutionnelle. En définissant les règles devant lui permettre de « cohabiter » avec François Mitterrand, Jacques Chirac contribue à définir une innovation qu’il répètera avec le Premier ministre socialiste Lionel Jospin entre 1997 et 2002.
Vidéo : Chirac, les jeunes et la Constitution européenne
Ce faisant, Chirac entraîne la droite française dans le refus de la peine de mort, l’acceptation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), le refus du libéralisme économique absolu. Cette évolution se fait au prix d’un brouillage des lignes d’affrontement politique, qui éclate au grand jour le 21 avril 2002, quand Jean-Marie Le Pen met hors-jeu le socialiste Lionel Jospin au premier tour de l’élection présidentielle. Par ailleurs, Chirac symbolise aussi les conséquences perverses d’une longue carrière de professionnel de la politique : le cumul des mandats – maire de Paris et Premier ministre entre 1986 et 1988 – et les affaires politico-financières, notamment celle des emplois fictifs à la mairie de Paris.
Un « Européen de raison »
Dans les mémoires de Chirac, le chapitre dédié à sa vision de l’Europe porte en fait… sur l’agriculture. Le parcours de Chirac est là encore contradictoire. Le moment le mieux connu du refus chiraquien de l’Europe est l’appel de Cochin, célèbre attaque frontale de Chirac contre Giscard et les centristes, favorables à l’élection directe, en 1979, pour la première fois, du Parlement européen. Il se laisse aller à qualifier ces derniers de « parti de l’étranger ». Cette attaque excessive, Chirac ne l’assume pas, même des années plus tard. Dans ses mémoires, il l’attribue, de façon peu élégante, à un excès de ses collaborateurs alors que son hospitalisation l’a affaibli.
Chirac est resté un ferme opposant à plus d’intégration européenne pendant les années 80 : opposé à l’élargissement grec, portugais et espagnol, il écrit avoir eu davantage de complicités avec Margaret Thatcher, qu’avec le chancelier allemand Helmut Kohl. Il faut la chute du mur de Berlin en 1989 pour le convaincre d’approfondir la construction européenne. Partisan du traité de Maastricht en 1992, acteur de premier plan des négociations de Nice et du projet de constitution européenne, le rejet de ce texte le 29 mai 2005 marque le début de la fin de sa carrière politique. Faute d’avoir compris que les conditions exceptionnelles de sa réélection en 2002 lui intimaient de rassembler les Français.
Pour essayer de faire face aux craintes des jeunes sur l’Europe, Jacques Chirac invite une centaine d'eux à l’Élysée le 14 avril 2005. La prestation du président n’est pas une des plus convaincantes de sa carrière… Regardez minutes 16:38 - 20:35 de cette archive INA.
Le président du déclin de la France ?
Cet échec amène une longue fin de règne, marquée par les émeutes des banlieues en 2005. Le débat sur le déclin de la France, si cher aux intellectuels hexagonaux, et ses chocs avec George W. Bush vont contribuer à associer le quinquennat de Chirac (2002-2007) dans les milieux néo-libéraux et la presse anglo-saxonne avec l’idée d’une France ankylosée, ennemie des États-Unis.
Le président Chirac quitte l’Élysée en mai 2007. Sa dernière allocution télévisée constitue un testament politique qui témoigne de la place que Chirac attribue à la France dans le monde.
Peut-on pour autant conclure que Chirac a été un conservateur refusant tout changement ? En bon gaulliste, il refusait le changement non maîtrisé. Dans son message d’adieu aux Français en mars 2007, Chirac assure que la France continuera à surprendre le monde à travers son modèle social et conservera l’ambition d’avoir voix au chapitre.
Luis Bouza Garcia
Coordination et révision Claire A. Poinsignon